The Killing Fields (La Déchirure)

 

Un film de Roland Joffe

 

Avec Sam Waterston, Haing S. Ngor, John Malkovich, Julian Sands, Craig T. Nelson, Spalding Gray, Bill Paterson…

 

 

Comment résumer une oeuvre aussi puissante que The Killing Fields, véritable monument du cinéma, trop souvent ignoré malheureusement ?

 

Premier film de Roland Joffé, The Killing Fields est une œuvre majeure du cinéma contemporain, véritable hommage - documentaire aux victimes du régime Khmer Rouge de Pol Pot, les frissons et l’horreur ne vous quittent pas jusqu’à la dernière seconde du film et vous poursuivent longtemps après.

 

Le film raconte une histoire d’amitié sur fond de conflit sanglant. Cette histoire c’est celle de Dith Pran et Sydney Schanberg, deux journalistes, l’un cambodgien, l’autre américain. Travaillant pour Times, Sydney Schanberg couvrait la guerre au Cambodge, et partit peu de temps après que les Kmers rouges aient envahi Phnom Penh, la capitale cambodgienne, laissant malgré lui son ami et correspondant local Dith Pran aux mains des Kmers rouges.

 

Si la première partie du film s’attache à l’histoire du conflit et les relations qu’entretiennent les deux journalistes sur le terrain, plus que deux collègues, deux véritables amis, la seconde partie est une plongée dans le calvaire des cambodgiens, dans la vie et les souvenirs de Dith Pran.

 

Roland Joffe a réunit un casting impressionnant, non pas par ses stars mais par sa qualité. Sam Waterston et surtout Haing S.Ngor forment le duo de journalistes, poignants dans leurs relations.

 

La première partie du film est une longue exposition du drame qui s’annonce. Dith Pran et Schanberg cherchent à connaître l’étendue des dégâts causés par l’armée américaine, cherchent à comprendre ce que les Khmers rouges cachent vraiment, cherchent aussi à organiser la fuite de la famille de Pran et la fuite des occidentaux encore présents à Phnom Penh. Joffe filme au plus près des hommes, captivant leurs regards, leur âme, leurs peurs face à l’Histoire qui se déroule sous leurs yeux.

L’incompréhension règne lorsque Pran doit rester et est évacué de l’ambassade pour être emmené par les Khmers.

 

Le film montre bien l’état dans lequel était la population après un conflit de 5 ans, lorsque le 17 avril 1975, les Khmers rouges ayant mis à terre les soldats gouvernementaux, entrent victorieux dans Phnom Penh, tous de noir vêtus. Une euphorie éphémère parcourut alors la population bientôt obligée de quitter la capitale pour « échapper » aux bombardements américains.

Mais ce ne sont pas les bombardements américains qui tueront ces gens, c’est bel et bien la barbarie d’un régime sanguinaire, exécutant les plus faibles, affamant la population, la réduisant à la culture de la terre, infâmant tout type de culture et d’intelligence qui pourrait le mettre en danger. Il est estimé que 2 millions de personnes périrent sous le régime Khmer.

 

Les journalistes ne s’attendaient pas non plus ce qui allait se passer, ils redoutaient ce calme étrange, cette euphorie soudaine de ces anges de la mort, de ces gamins de 10 à 15 ans faisant la guerre, fusil à l’épaule, prêts à tuer.

 

Joffe ne fait que filmer, comme un documentariste, un journaliste de l’époque. Il est là lui aussi dans l’ambassade de France, dernier « refuge » de la capitale, qui ne sera pourtant pas épargnée par les Khmers. Chaque personne qui la quitte est destinée à la mort, des membres du gouvernement aux notables de la capitale. Toute forme de culture était considérée comme dangereuse par Angka, l’instance suprême du gouvernement Khmer. Tous les commerces, institutions furent fermées et l’exode commença pour des millions de cambodgiens. L’exode menant à la mort.

 

La seconde partie du film est consacrée quasi-entièrement à Dith Pran, son combat pour survivre dans les camps de travail, pour cacher sa culture et survivre, puis sa fuite vers la Thaïlande, refuge de millions de cambodgiens, seul espoir sous ce régime de terreur. Haing S.Ngor, extraordinaire, habite le personnage de Dith Pran, dans sa douleur et son horreur. Haing S.Ngor fût lui aussi douloureusement marqué par le régime Khmer sous lequel sa femme et son bébé périrent, durant l’accouchement. Haing S.Ngor, médecin et obstétricien, fût également emmené dans les camps de travail des Khmers, où il cacha aussi son passé de médecin et d’homme cultivé pour survivre. Il échappa lui aussi au régime en 1980 pour rejoindre les Etats-Unis où il mena une honorable carrière de comédien avant de mourir assassiné en 1996, chez lui. Des rumeurs circulèrent sur une possible vengeance Khmer mais il apparaît que sa mort soit due à une attaque pour lui voler ses biens.

 

On ne peut alors que mieux comprendre l’implication de ce comédien dans ce projet, une promesse faite à sa femme avant qu’elle ne meurt de révéler au monde les atrocités du régime Khmer. Véritablement habité par son personnage, oscarisé pour ce rôle, Haing S.Ngor, se révèle dans cette seconde partie, tour à tour travailleur forcé, déserteur et sauveur d’un enfant qui finira malgré tout par mourir à cause d’une mine. Il n’est plus acteur mais semble revivre ces temps difficiles, seulement 4 ans après avoir quitté ce pays où il est né, c’est lui et Dith Pran qui marchent ensemble dans la jungle, à travers les rizières emplies des corps et des os des victimes, c’est le peuple cambodgien qui s’enfuit et qui meurt face à la caméra, sous les coups des Khmers rouges, véritables monstres de violences (il est rapporté qu’ils éventraient les femmes enceintes, tuaient les bébés en fracassant leur tête contre un tronc d’arbre…).

 

Joffé porte un regard plein d’humilité lors de cette seconde partie, laissant la caméra et l’image décrire et nous montrer l’horreur, sans rajouter d’effets inutiles. La musique accompagne les images, sans envahir et charger l’atmosphère déjà très lourde du film.

 

Jusqu’aux retrouvailles finales entre Schanberg et Pran, le sort de Pran est en suspens. Dès lors, et on connaît bien l’œuvre de Pran depuis, il est sauvé. Dith Pran est à l’origine de projets humanitaires pour venir en aide encore aujourd’hui aux victimes de ce génocide, aux victimes des conséquences de cette guerre et de ce régime infâme. Schanberg lui dédia le prix Pullitzer qu’il obtint en 1976 grâce au travail conjoint avec Pran, alors qu’à l’époque Pran étant donné mort en raison de sa condition de journaliste.

 

Si The Killing Fields est une œuvre plutôt méconnue du public, c’est un remarquable film de guerre, pas dans le sens conventionnel du genre car on ne voit que peu de combats et pas de grandes scènes d’attaques, mais plutôt parce qu’il montre tel un documentaire ce qu’est la guerre des hommes, des femmes et des enfants. Il montre l’infamie sous toutes ces formes, il montre l’horreur humaine et ses conséquences, il montre cette histoire d’amitié entre deux hommes sur fond de conflit, par amour pour le journalisme et la vérité, par respect pour un peuple qui a souffert des pires atrocités que l’homme puisse commettre.

 

Roland Joffé n’a pas encore renoué avec le succès critique aussi important que pour The Killing Fields.

 

Pourtant il ne faut pas oublier ce film qui mérite le panthéon des panthéons, un film où l’humanité et l’Histoire se sont croisées, où elles sont restées comme le témoignage de temps que les hommes ne veulent plus voir.

 

 

Arnaud Meunier

18/11/2004